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Réformes : la confiance vire au rouge

La montée des craintes sociales éclaire le soutien d’une majorité de Français au mouvement des Gilets jaunes

 

Ce qui se voit dans la rue se mesure aussi dans les chiffres.

Selon la cinquième vague du Tableau de bord de la Transformation No Com/Ifop/JDD*, la mécanique de défiance semble s’être brutalement amplifiée ces derniers mois, rendant insupportable à une partie de l’opinion les changements engagés par Emmanuel Macron. Ainsi, 7 Français sur 10 estiment désormais que leurs enfants vivront moins bien qu’eux et 55% considèrent que la transformation du pays aura globalement « des effets négatifs », cette proportion grimpant à 61% lorsqu’il s’agit d’estimer les effets directs « pour soi et pour ses proches ». Ce constat contribue à expliquer le mur de crispation et de rejet auquel se heurte en ce moment la politique du gouvernement.

 

Un fort niveau d’impatience

La première vague de cette étude, lancée en mai 2017 peu après les élections législatives, donnait déjà l’alerte. Malgré le climat d’optimisme et de bienveillance propre aux périodes post-électorales, les chiffres révélaient des signes d’essoufflement de la confiance. On observait une montée rapide des impatiences économiques et sociales de la France populaire, qui laissait deviner le risque pour l’exécutif de voir s’installer l’idée d’une transformation réservée à la France optimiste au détriment des classes moyennes et défavorisées. Depuis lors, les vagues successives de notre sondage ont confirmé ce niveau de pression et d’impatience, et l’émergence de récits hostiles à laquelle il contribue : frustration sur le pouvoir d’achat et la réduction des inégalités, exaspération sur la pression fiscale et, plus généralement, incompréhension à l’égard du projet de transformation initié par Emmanuel Macron.

 

Ces sentiments négatifs alimentent à présent le soutien majoritaire des Français au mouvement des Gilets jaunes, malgré les violences dont il s’accompagne.

Et l’absence d’un récit de la transformation puissamment incarné et relayé limite la capacité de riposte du pouvoir face à l’hypervisibilité du mouvement. L’inquiétude exprimée par les Français de toutes les classes sociales montre aussi les limites d’un traitement de la crise par des mesures catégorielles.

L’inquiétude et l’incompréhension ont gagné du terrain dans tous les milieux sociaux (voir graphique 1). De fait, ce n’est pas le mot « transformation » qui est rejeté mais son mode opératoire. Les Français sont plus nombreux que jamais à considérer que la première condition de réussite de la transformation, c’est la réponse à la demande de protection et au souci d’égalité et de justice dans les réformes (voir graphique 2). Pour comprendre la force du soutien aux Gilets jaunes, il faut relever les progressions considérables enregistrées en un an et demi sur toutes les préoccupations d’ordre financier et social : écarts de salaire, hausse des impôts, égalité femmes-hommes, augmentation du niveau de vie, retraites, etc. (voir graphique 4).

 

Rejet massif de la réforme de l’ISF

L’exaspération fiscale traverse toute la société ; elle n’est pas ­limitée à une France « laborieuse » (pour reprendre le terme ­maladroitement utilisé par le chef de l’État). Le rejet de la réforme de l’ISF est massif – et même majoritaire parmi les électeurs de Macron au premier tour. Jamais l’Ifop n’avait mesuré ces dernières années un tel niveau d’angoisse, non seulement sur le niveau de vie, mais aussi sur le sort des générations futures (voir graphique 5). Or la clé d’une transformation réussie, c’est la bonne combinaison entre la croyance que cette transformation sera positive pour le pays et le bénéfice que chacun espère en retirer pour soi. Pour la première fois, ces deux indicateurs affichent une vision majoritairement ­pessimiste – le second a progressé de 20 points en un an (voir graphique 3).

Tout semble donc se passer comme si les Français ne comprenaient plus le pouvoir, ni son récit central sur la transformation, ni le rythme de ses réformes et leur cohérence. La transition écologique, pourtant reconnue comme légitime dans son principe (62% la jugent positive), est également incomprise dans son équation engagements-bénéfices. De la brutalité de ces évolutions, on peut déduire que les annonces gouvernementales des derniers jours ont peu de chances de rétablir une confiance très abîmée. La France n’a pas le monopole de l’inquiétude sociale ni des tensions, c’est la démocratie européenne et son modèle de progrès protecteur qui sont en crise, presque partout. Mais c’est sans doute en France que « le nouveau monde » suscite les résistances et les peurs les plus intenses.

Pierre Giacometti

Coprésident de No Com

Article dans le Journal du Dimanche du 7 décembre 2018

 

 

*Le cabinet de conseil en stratégie NO COM a lancé en mai 2017 le Tableau de Bord de la Transformation de la France.

Cette enquête d’opinion commandée à l’IFOP, en partenariat avec le JDD, a pour objectif de cerner la perception qu’ont les Français de la transformation de la France. Ce débat sur la transformation a été au cœur de la dernière campagne présidentielle. Porteur de réflexions stratégiques pour le monde de l’entreprise, il est aussi devenu, par la force des circonstances, un débat politique central.

Ce tableau de bord de la transformation de la France permettra, dans les années qui viennent, de mieux comprendre l’impact de la transformation auprès des Français. Il est constitué d’une série d’indicateurs abordant quatre thématiques majeures : la confiance dans l’avenir, la dynamique d’adhésion/résistance, les bénéfices attendus et la perception des actions engagées.

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