Par Pierre Giacometti (cofondateur de No Com), Alain Peron (cofondateur de No Com)
Exprimer sa raison d’être c’est raconter des choix de long terme, c’est énoncer des contraintes que l’on se choisit pour durer. En inscrivant sa puissance dans un cadre limité, l’entreprise accroît sa légitimité. De façon beaucoup plus sûre que de beaux discours oubliés à peine énoncés, écrivent Pierre Giacometti et Alain Peron.
Ce qui rend crédible l’engagement, c’est son caractère contraignant qui procède d’un triple renoncement.
Les entreprises s’engagent depuis peu dans la définition de leur raison d’être pour affirmer ce qu’elles « sont » et pour expliquer leur contribution à l’intérêt général. Le problème c’est que cela ne marche pas. Les discours de bons sentiments ne convainquent qu’un entre-soi. Pourquoi ce hiatus entre l’engagement des uns et la circonspection des autres ?
Parce que dans la société paranoïaque se méfier est devenu une compétence. Les bonnes intentions ne font plus changer d’avis. On objectera qu’il faut des preuves. Mais les preuves sont comme les arguments : les bonnes actions se heurtent aux contre-exemples présentés comme des incohérences. Nous avons la conviction que la crédibilité est dans l’interdit. En inscrivant sa puissance dans un cadre limité, l’entreprise accroît sa légitimité. Il n’y a pas de raison d’être crédible sans contraintes. Le tout est de bien les choisir.
Trois non, un oui
C’est dans cette perspective qu’une bonne raison d’être, c’est trois non pour un oui. Le OUI, c’est le supplément de sens que l’entreprise propose au-delà de la quête de profit à court terme. Ce qui rend crédible l’engagement, c’est son caractère contraignant qui procède d’un triple renoncement.
Le premier NON, c’est dire ce qui ne changera jamais. Pour rendre son engagement crédible, une organisation doit puiser dans ses racines, ses valeurs et sa culture. Réaffirmer ce qui ne changera jamais dans un monde qui bouge est un acte fort.
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Le deuxième NON, c’est dire ce que l’on s’interdit de faire. Il n’y a pas de raison d’être sans choix et il n’y a pas de choix sans renoncement : un engagement est un interdit durable qui coûte. S’engager pour la qualité nutritionnelle c’est s’interdire la malbouffe. S’engager pour la mobilité durable c’est refuser l’obsolescence programmée. Il y a ici un renoncement à un profit de court terme pour choisir la création de valeur durable. Le coût est l’indice de la détermination.
Le troisième NON, c’est s’interdire de faire payer ses choix aux autres. Ce n’est ni au client ni au salarié de régler l’addition du supplément d’éthique. L’engagement de l’entreprise ne saurait être un transfert de charges à la collectivité. La seule solution sera alors l’innovation. Or la plupart des entreprises se contentent d’idées générales qui n’ont pas de caractère opposable – les juristes veillent – d’engagements qui coûtent – la DAF surveille – et d’un jargon qui habille d’élégance éthique une stratégie qui sur le fond reste la même. Exprimer sa raison d’être est encore une dépense de communication et non un investissement stratégique. Passé le moment de l’annonce, tout le monde s’en fiche.
Contraintes paradoxales
S’il y a accord sur l’intérêt, pourquoi le passage à l’acte est-il si difficile ? Car l’environnement exerce des contraintes paradoxales sur l’entreprise : on lui demande de s’engager, mais aussi de maximiser sa capacité d’adaptation à des temps chaotiques tout en restant profitable. Les patrons sont des stratèges qui savent que, si l’opinion les scrute avec une exigence croissante, les marchés sont plus intraitables encore.
On cherchera en vain des exemples d’entreprises qui ont vu le cours de leur action grimper après l’affirmation d’une raison d’être. En revanche, toute baisse de rentabilité est sanctionnée. Au tribunal des marchés, il n’y a pas de circonstances atténuantes. Exprimer sa raison d’être c’est donc raconter des choix de long terme, c’est énoncer des contraintes que l’on se choisit pour durer.
La question sera alors de savoir jusqu’où aller pour répondre aux attentes de l’actionnaire, du salarié et du client. Pour l’actionnaire, réduire le coût du risque, pour le salarié, libérer les énergies et faciliter l’initiative, pour le client, procurer un supplément de vertu. Construire cet équilibre incite à une approche positive et pragmatique. Nous prônons les récits qui transforment. Ils offrent des leviers pour activer les émotions et l’imagination des publics. Ce n’est plus de la « com ». Il s’agit moins de persuader que de connecter et de partager.