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Tattoo stories

Comment Uber est né à Paris un soir de neige

Réelles ou fantasmées, déformées ou amplifiées, certaines anecdotes tiennent une place à part dans la mythologie des entreprises, au point de passer à la postérité. Que nous révèlent-elles du monde du travail – et de nous-mêmes ? Chaque mois, No Com décrypte l’une de ces « tattoo stories » emblématiques. Troisième épisode : la naissance d’Uber dans les rues de Paris, un soir d’hiver.

C’est l’un de ces paradoxes dont la France a le secret. À en croire la légende d’Uber, le concept de l’App de VTC serait né à Paris un soir d’hiver. Ses fondateurs étaient alors loin d’imaginer que l’Hexagone compterait parmi les pays les plus rétifs à l’implantation de ce nouveau service. Et que c’est au pays de Molière que les dérives de « l’ubérisation » – un néologisme bien de chez nous ! – seraient débattues avec le plus de passion.

Et pourtant, c’est bien dans les rues de Paris que tout commence, dans la cohue d’un soir de neige. En ce mois de décembre 2008, la météo est glaciale sur la région parisienne. Voici que débarquent en France un jeune entrepreneur américain, Travis Kalanick, et un brillant informaticien canadien, Garrett Camp. Tous deux se rendent au salon international « LeWeb » qui réunit alors tous les champions de la tech.

Ce soir-là, Kalanick et Camp ont toutes les peines à trouver un taxi. Les dysfonctionnements qu’ils perçoivent à Paris (manque de disponibilité, tarifs élevés, service décevant…) leur rappellent ceux que rencontrent les habitants de San Francisco avec les taxis, comme dans de nombreuses villes. Mais, à des milliers de kilomètres de là, cette déconvenue parisienne provoque un déclic : les deux hommes ont l’intuition d’une App qui permettrait de commander une voiture d’un seul clic. En 2009 naît UberCab, un service de chauffeur privé à la demande. Testé à San Francisco, le concept connaîtra le succès planétaire que l’on sait, non sans susciter de vives tensions avec les taxis qui les accusent partout de concurrence déloyale, notamment en France

Longtemps, Kalanick s’est plu à colporter ce mythe fondateur, qui ne semble plus avoir cours depuis la prise de direction de Dara Khosrowshah en 2017 (l’anecdote a disparu du site Web d’Uber). Mais l’histoire a marqué les esprits. Il faut dire qu’entre le prestige et l’imaginaire de la capitale française, la météo neigeuse et l’inspiration quasi mystique des deux protagonistes, on nage en plein conte de fées. 

David contre Goliath 

« Au cœur de ce récit, il y a l’insatisfaction du public en matière de transports, une insatisfaction à laquelle l’entreprise va venir répondre », analyse Sophie Balech, maître de conférence à l’IAE d’Amiens, qui reconnaît un « coup de génie » en matière de communication. Dans la thèse qu’elle consacre à l’institutionnalisation d’Uber et d’Airbnb à Paris, elle pondère néanmoins la fiabilité de l’anecdote : « Cette belle histoire fait oublier que l’idée était déjà en gestation chez G. Camp et que c’est seulement avec la sortie, mi-2009, de l’iPhone 3GS que la technologie nécessaire au développement de l’application va apparaître ».  

Authentique ou romancée, cette anecdote est une Tattoo Story comme No Com les aime. « Pour qu’une histoire nous captive, elle doit transmettre une émotion, souligne Paul-Marie Chaumont, Directeur général France de No Com. Ici, l’émotion naît du challenge colossal que s’apprêtent à affronter les deux entrepreneurs. Cette histoire fusionne ainsi deux archétypes puissants dans l’imaginaire collectif : celui d’un petit nouveau qui vient bousculer l’ordre établi et contester un monopole, façon David contre Goliath, et c’est aussi une réinterprétation du rêve américain, où deux inconnus talentueux peuvent, à l’image des trois fondateurs d’Apple dans leur garage, changer le monde. » 

Cette histoire fusionne deux archétypes puissants dans l'imaginaire collectif : celui d’un petit nouveau qui vient bousculer l’ordre établi et contester un monopole, façon David contre Goliath, et c’est aussi une réinterprétation du rêve américain, où deux inconnus talentueux peuvent, à l’image des trois fondateurs d’Apple dans leur garage, changer le monde.

Tous les ingrédients de la saga Uber sont en germe dans cette fable hivernale, dont les détails renforcent son authenticité. Les deux hommes parviendront-ils à faire bouger les réglementations, sans le soutien d’une corporation ? Leur audace suffira-t-elle à convaincre les investisseurs ? Auront-ils les épaules assez larges pour inventer – et imposer – un nouveau modèle ? « Cette histoire illustre avec efficacité la nécessité de coller aux besoins ou aux insatisfactions des clients pour créer de la valeur », résume Paul-Marie Chaumont. Pensez-y, la prochaine fois que vous attendrez un taxi ou un VTC sous la neige. 

F.-X.M.

Photos : Tingey Injury Law Firm sur Unsplash (miniature) / Dan Gold sur Unsplash (header) / Viva Zhang sur Unsplash (article)