Conseil
stratégique
en communication

Tattoo stories

Post-it, de l’invention ratée au best-seller mondial 

Réelles ou fantasmées, déformées ou amplifiées, certaines anecdotes tiennent une place à part dans la mythologie des entreprises, au point de passer à la postérité. Que nous révèlent-elles du monde du travail – et de nous-mêmes ? Chaque mois, No Com décrypte l’une de ces « tattoo stories » emblématiques. Deuxième épisode : l’invention du Post-it, ou l’art de transformer une tuile en aubaine.  

C’est le genre d’histoire qui vous colle à la peau… enfin pas tant que ça, justement : tout le sel du récit fondateur du Post-it réside dans une invention ratée que l’entreprise américaine 3M a su transformer en outil génial. Un outil prisé de tout ce que la planète compte d’employés de bureau, d’apôtres du design thinking et d’étudiants bûcheurs. Objet iconique du placard à fournitures, star du brainstorming (et de la liste de courses du samedi) le petit signet auto-adhésif jaune canari semble avoir toujours existé. 

Et pourtant, il s’en est fallu de peu. Sur son site Web, la société 3M – détentrice, entre autres, de la marque Post-it – revient en détail sur la mésaventure à l’origine de cette innovation. C’est en 1968 que le chimiste Spencer Silver (1941-2021), membre du labo de recherches de 3M, met au point une colle… qui colle à peine. « En tant que chercheur, une partie de mon travail consistait à développer de nouveaux adhésifs et à cette époque, nous voulions mettre au point des adhésifs plus grands, plus résistants et plus forts », expliquera l’infortuné chercheur, forcé d’admettre que ce polymère adhésif acrylique ne « répondait à aucun de ces critères ». 

Les cantiques au secours de l’innovation 

Sans le savoir, Silver vient de découvrir un adhésif d’un nouveau genre, collable et décollable à l’envi, sans abîmer le support. Mais que faire de ça ? Pendant des années, il s’échine à imaginer un débouché pour sa trouvaille. Sans succès. « On m’appelait Monsieur Persévérant », relatera-t-il, philosophe. Pendant ce temps, un autre scientifique de 3M, Art Fry, affronte un douloureux problème existentiel. Chaque mercredi soir, cet homme fervent chante dans une chorale paroissiale. Avec méticulosité, il indexe les cantiques de la prochaine messe en glissant de petits morceaux de papier dans son carnet de chants. Mais le dimanche matin, ils se sont dispersés et tout est perdu. 

Ce qu’il lui faudrait, c’est un marque-page collant. Fry se souvient alors d’un séminaire où Silver avait présenté sa découverte. Nous sommes en 1974. Il sent qu’il tient quelque chose d’important : « Le genre de moment qui vous donne une montée d’adrénaline ». 

Ensemble, les deux hommes commencent à développer un produit dont ils seront les premiers utilisateurs, pour échanger des messages au bureau. 

« Je me suis dit que nous avions plus qu’un marque-page, c’était une nouvelle façon de communiquer. », rapportera Fry. L’invention se diffuse en interne, plébiscitée par le personnel. Premiers tests de commercialisation en 1977, peu concluants.

Nouvelles méthodes de réflexion collective

C’est alors que le service marketing entre en action : des échantillons sont massivement distribués à Boise, dans l’Idaho. Et là, les retombées sont inespérées. 90% des testeurs se disent prêts à payer pour utiliser Post-it. A en croire Fry, les notes se sont répandues « comme un virus », les meilleurs promoteurs étant les clients eux-mêmes, qui en tapissent leur bureau et leurs dossiers. 

On imagine le choix de la couleur savamment mûri. La réalité est plus prosaïque : le labo voisin disposait d’un stock de papier jaune. Dans la saga du post-it, le hasard aura décidément joué jusqu’au bout sa partition, pour le plus grand bonheur de ses créateurs. 

Depuis, la gamme s’est étoffée – 4.000 produits ! – et plus personne n’imagine la vie sans Post-it. Ils sont diffusés dans plus de 150 pays. On en croise dans les films, les séries, les publicités. Les bureaux en sont couverts. Comme le relève Silver, les petites notes colorées ont favorisé l’émergence de nouvelles méthodes d’organisation et de réflexion collective ; un produit dont personne n’aurait pensé avoir besoin et qui a su se rendre indispensable. Icônes de la marque, Silver et Fry ont terminé leur carrière sous les honneurs. 

Incarner la raison d’être 

« Cette histoire incarne parfaitement la raison d’être – très ancienne – de 3M : utiliser la science et l’innovation pour améliorer la vie de tous les jours, et c’est sans doute ce qui la rend emblématique », analyse Charles De Beistegui, directeur associé de No Com. Aligner la raison d’être et les récits qui y sont associés : c’est aussi l’une des forces de l’accompagnement que notre cabinet propose à ses clients. « Les entreprises ont besoin d’histoires vivantes et mémorables pour illustrer leur raison d’être au quotidien, pour passer de l’énonciation à l’action », souligne-t-il. 

Un défi que 3M a su relever tout au long de son histoire, en intégrant chacune de ses innovations à son grand récit. Le Scotch, en 1930, c’est déjà elle. Parmi toutes ces découvertes, celle du signet jaune demeure néanmoins l’une des plus marquantes, tant elle valorise la puissance de l’initiative, au cœur de la promesse de 3M. « La raison d’être est une étoile polaire qui guide les actions de l’entreprise et accroît le pouvoir des collaborateurs, résume Charles De Beistegui. Ce n’est pas un mode d’emploi mais une source d’inspiration pour les initiatives. Chaque salarié doit s’en emparer. » Ici, l’histoire est d’autant plus inspirante qu’elle met en lumière une coopération réussie : un deuxième chercheur s’empare de la trouvaille d’un premier pour aboutir au succès. Une fable sur la persévérance et l’importance de la collaboration, un plaidoyer pour le partage d’informations dans les entreprises. 

Chaque déveine peut devenir une chance

Si cette histoire captive, c’est sans doute aussi parce qu’elle offre un exemple éloquent de sérendipité : la révélation fortuite de quelque chose que l’on ne cherchait pas. Certains cas sont restés célèbres. L’invention accidentelle de la tarte Tatin par deux soeurs, la découverte de la pénicilline par Alexander Fleming, la mise au jour de la grotte de Lascaux par des enfants… Ce que nous dit l’invention du Post-It ? Chaque déveine peut cacher une opportunité. Et 3M l’a bien compris. Si le Post-it finit toujours se décoller, son histoire, elle, s’oublie difficilement. 

F-X M.