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Elisabeth Boucher : « Les récits permettent d’apprivoiser la complexité du monde »

Pour la directrice de la communication de Michelin Food & Travel, les petits et grands récits qui nous accompagnent à tout âge contribuent à nourrir notre besoin de sens, en stimulant notre imaginaire et notre réflexion.

La première histoire qui vous a marquée ?

Les quatre filles du docteur March de Louisa May Alcott. C’est le premier « vrai » roman qui m’a happée en tant que lectrice. Une ode à la sororité dans l’épreuve. Je me suis reconnue dans la personnalité de Jo, dans ses rêves de littérature, son désir d’indépendance. Ce personnage passionné préfigure le féminisme. Bien sûr, tous ces mots sont venus plus tard mais j’ai tout de suite aimé ce livre écrit par une femme. Adulte, je l’ai relu en Anglais avec le même sourire, celui de l’enfance.

Pourquoi avons-nous tant besoin de récits ?

Justement parce que les récits résonnent avec notre enfance. Ils ravivent en nous la voix de ceux qui nous lisaient nos premières histoires. Ils répondent aussi à notre besoin de sens : la structure même d’un récit, avec sa situation initiale, ses péripéties et sa résolution, offre un cadre rassurant pour apprivoiser la complexité du monde.

Une histoire que vous aimez raconter ?

Toute histoire mettant en scène un personnage qui tend à faire de son mieux pour réaliser ses promesses.

Plutôt roman réaliste ou histoire à dormir debout ?

Peu importe ! Je peux lire avec le même intérêt de la science-fiction ou une biographie bien ficelée. Idem devant un bon film : avec mes enfants, je passe des Avengers à Sissi l’impératrice avec le même plaisir. Tant qu’il y a une part de rêve…

Un récit de marque inspirant ?

Celui de Chanel me semble particulièrement cohérent et inspirant. Cette marque, icône du luxe à la française, parvient année après année à réinterpréter son ADN en lui donnant une teinte renouvelée, tantôt profonde, tantôt légère. Ce récit résonne auprès de nombreux publics, dans le monde entier. C’est assez admirable. Ce qui m’interpelle aussi, c’est le détachement de la marque par rapport à l’immédiateté si souvent associée au luxe et à la consommation : la maison Chanel s’est par exemple lancée tardivement dans le digital car l’expérience en retail reste au cœur de sa philosophie, symbole de l’attention accordée aux clientes.

Un récit dont vous êtes fière ?

Celui sur lequel nous travaillons en ce moment au Guide Michelin. Notre marque, riche d’une histoire de plus de 120 ans, est en train de vivre une extension incroyable. Dans un monde de standardisation, sursaturé d’informations, il n’est pas toujours simple de choisir un restaurant ou un hôtel. Le positionnement unique du Guide Michelin nous permet de distinguer l’excellence humaine et de dénicher le supplément d’âme que les clients recherchent. Nous continuons de révéler le meilleur du raffinement, mais cette fois-ci, dans l’art de recevoir les hôtes avec une sélection de 5300 hôtels et la possibilité de réserver directement sur notre site. Pour offrir le meilleur service, nous venons aussi de lancer la Clef Michelin, déclinaison des Étoiles décernées aux restaurants, pour distinguer les expériences hôtelières les plus remarquables. Notre différence, c’est cette volonté de mettre en lumière les talents qui font la beauté de l’hôtellerie et de la restauration.

Le Guide Michelin vient de lancer la Clef Michelin, déclinaison des Etoiles décernées aux restaurateurs, pour distinguer les expériences hôtelières les plus remarquables. 

Un mythe qui raconte notre époque ?

L’épisode du jugement de Pâris dans l’Iliade est riche d’enseignements. Aphrodite, Héra et Athéna demandent à Pâris de remettre à l’une d’entre elles la « pomme de la discorde », destinée à la plus belle des déesses de l’Olympe. Pâris choisit Aphrodite, entraînant la colère des deux autres. Cette situation contribue au déclenchement de la Guerre de Troie. J’y perçois un écho de l’orgueil de notre époque, où la question du choix demeure un point sensible. Tout renoncement crée des frustrations et peut entraîner des problèmes. Choisir, c’est forcément renoncer.

Une bonne histoire, ça tient à…

D’abord à l’épaisseur des personnages auxquels on s’identifie. Ensuite à la puissance de l’action. Et enfin, à la profondeur de l’enseignement que l’on en tire, comme dans une fable.

Un livre qui vous accompagne ?

 

Ai-je le droit d’avouer que c’est un recueil de poésie qui m’accompagne partout ? Vingt poèmes d’amour et une chanson désespérée de Pablo Neruda. La sensualité de ces vers est éblouissante. La virtuosité de l’auteur, si jeune au moment où il a composé cette ôde à la vie, m’épate à chaque fois que j’ouvre mon exemplaire corné.

Une pub inoubliable ?

Celle conçue par Jean-Paul Goude pour le parfum Coco Chanel, en 1991, a bercé mon enfance.

Elle figurait sur l’enregistrement VHS d’un dessin animé que je regardais souvent. Je me souviens de cette mise en abyme pleine de poésie, avec une Vanessa Paradis magnifique, transformée en petit oiseau en cage. Des images d’une grande pureté.

Un récit anti-crise à partager ?

Ma grand-mère camerounaise me racontait un conte d’une grande force. Dans un village, les malheurs s’accumulent, la situation est désastreuse. Mais le héros, par la force de son ingéniosité, trouve peu à peu des solutions aux problèmes des habitants : les récoltes ravagées par des sauterelles, les inondations, le feu qui a détruit le toit du chef du village… Ce conte va à contre-courant de l’ambiance actuelle, si souvent défaitiste. Il donne à l’homme le choix d’aller de l’avant et de trouver des solutions : avec du courage et de l’ingéniosité, tout est possible.

La meilleure façon de finir une histoire ?

J’aime bien savoir ce qu’il advient du personnage. Cela m’agace quand l’auteur me suggère des choses, sans faire le travail jusqu’au bout !

Propos recueillis par F-X M.