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Tribune : Taylor Swift pourra-t-elle sauver le monde ?

Alain Péron, co-fondateur du cabinet No Com, s’interroge sur l’impact culturel et sociétal de la chanteuse Taylor Swift, star planétaire et icône d’une génération.

Par sa musique et sa capacité à toucher des millions de fans, peut-elle incarner une réponse aux défis universels de notre époque ? 

Elle ne sauvera peut-être pas le monde, mais le phénomène révèle des vérités profondes sur l’humanité et la quête de sens à travers la construction de soi.

Taylor Swift n’a pas empêché Donald Trump d’être élu.

Au soir du premier (et unique) débat entre les deux candidats à l’élection présidentielle américaine de 2024 (et la veille du 11 septembre), la chanteuse la plus populaire du monde, Taylor Swift, publiait sur Instagram un post dans lequel elle annonçait qu’elle voterait pour Kamala Harris. Avec malice, elle signait « Childless Cat Lady » (Femme à Chat et Sans Enfant) en réponse directe aux moqueries misogynes de J. D. Vance, colistier de Donald Trump.

Dès le lendemain, la presse s’interrogeait. Quelle serait l’influence politique de la star aux 280 millions de follower, élue en 2023 personnalité de l’année par le magazine Times, dont la chanson « Shake it off » avait enregistré plus de trois milliards d’écoutes et dont la sixième tournée « Eras Tour » avait généré plus de deux milliards de dollars ? En publiant le lien vers le site gouvernemental pour l’inscription sur liste électorale la chanteuse aurait généré 400 000 connexions en vingt-quatre heures – contre 30 000 habituellement. Un raz de marée allait-il se produire ? 

On le sait, le soutien de Taylor Swift à son opposante n’a pas empêché Donald Trump d’être largement élu, comme il y a vingt ans, celui de Bruce Springsteen n’avait pas davantage porté chance au candidat démocrate John Kerry en 2004 pas plus que ceux de Madonna, Lady Gaga, Beyoncé et Jay -Z n’avaient empêché Hillary Clinton d’être battue en 2016. La popularité n’est pas le vote, les étudiants en sciences politiques planchent régulièrement sur ce sujet. Et si Taylor Swift ne réussit pas à renverser une élection, est-il sérieux de se demander si elle peut sauver le monde ? Taylor Swift ne sauvera peut-être pas directement le monde mais il y a dans le phénomène planétaire qu’elle représente quelque chose qui peut nous redonner espoir dans notre avenir commun.

Le phénomène planétaire Taylor Swift nous dit quelque chose de profond sur notre humanité.

Les grincheux se sont déjà empressés de souligner que Taylor Swift est écoutée principalement par « des femmes blanches aisées ». Compte tenu du prix des places, il est certain que le critère de revenu joue un rôle dans la sélection du public des concerts. Mais le succès de la tournée au Mexique, au Brésil, à Singapour ou au Japon, la multiplication de cohortes de Swifties en Chine, en Inde ou aux Philippines rend peu recevable le critère de la couleur de peau.

Il faut écouter le Podcast Taylor Swift, le monde, ma fille et moi, de Xavier Yvon. Dans cette série en six épisodes, le journaliste part à la découverte du phénomène pour comprendre l’engouement de sa fille de 13 ans. Sasha est une « Swiftie » une de ces millions de fans qui entretiennent une relation avec le chanteuse que les psychologues qualifient de « para-sociale » pour désigner un lien asymétrique dans lequel une personne accumule des informations considérables et acquiert un sentiment d’intimité avec une autre qui ne sait même pas qu’elle existe. S’agirait-il d’une nouvelle forme de phénomène fanatique ou sectaire ?

L'adolescence est vécue comme une aventure périlleuse par tous les jeunes du monde, un moment dans lequel ils ont besoin de se sentir compris et guidés et il semble que les chansons de Taylor Swift apportent des réponses à ce besoin universel de « construction de soi ».

Écoutons Xavier Yvon, sa fille et les spécialistes qu’ils sont allés interroger comme les professeurs Stephanie Burt ou encore Matthew Jordan qui enseignent à Harvard :

Xavier Yvon : « Comme le dit Sasha, écouter ses chansons c’est comme tourner les pages de son journal intime. Chaque album est un chapitre de sa vie. Elle raconte ce qu’elle ressent quand elle passe de l’adolescente à la jeune fille, puis à l’adulte et à la star. Ce que ça fait de grandir d’être parfois trahi par ses amis, d’avoir peur de ne pas plaire, de sortir avec le mauvais garçon. »

Professeur Stéphanie Burt : « Les paroles de Taylor Swift servent de guide au collège et au lycée, une façon de trouver les bonnes manières de réagir, pour être là pour ses amis et ne pas paniquer en cas de problème »

Sahsa : « Un collège, un lycée c’est la société du monde, t’apprends ta place et t’apprends à sortir de ta place (…) c’est un mini monde (…) il y a toujours cette hiérarchie dans la société et c’est assez dur d’y échapper (…) ».

Xavier Yvon : « Ce qui m’étonne en écoutant ma fille c’est de voir à quel point Taylor Swift avec sa vie de star américaine trentenaire parvient à parler aussi intimement à une petite collégienne française. En fait, en parlant d’elle, Taylor Swift parle à tout le monde parce que comme le dit Matthew Jordan (professeur assistant à Harvard) elle est l’incarnation de notre époque ».

Professeur Matthew Jordan : « Nous sommes dans une époque où l’unité la plus importante dans la société c’est l’individu : toi, tes sentiments, ta manière de consommer, de t’exprimer, c’est ça qui doit primer. Avec sa musique, Taylor Swift t’invite à te recentrer sur toi même et à considérer tes émotions, ton vécu comme les choses le plus importantes au monde (…) Cette construction de soi est essentielle à l’heure des réseaux sociaux (…). »

Que nous disent ces témoignages ? Que l’adolescence, ce chemin complexe vers le passage à l’âge adulte est vécu comme une aventure périlleuse par beaucoup, sinon tous les jeunes gens du monde, un moment dans lequel ils ont besoin de se sentir compris et guidés et il semble que les chansons de Taylor Swift apportent des réponses à ce besoin universel de « construction de soi ».

Universel, le mot est lâché. Et si dans cette époque puissamment marquée par l’affirmation de la singularité individuelle  et la proclamation des identités, on redécouvrait qu’une jeune fille américaine hors norme peut parler à d’autres jeunes gens de France, du Japon ou du Brésil qu’elle ne rencontrera jamais, de ce qui les concerne le plus intimement, de ce qu’ils n’osent peut être pas confier à leurs parents ou à leurs proches ? Et si on reconnaissait que la construction de soi à l’adolescence est un besoin universel, et que les questions qu’elle pose le sont aussi ? Et si il y avait du commun dans nos milliards de vies que nous voulons absolument uniques ?

Taylor Swift, à la matière de Montaigne, montre que l’exploration sincère de la singularité de chaque expérience peut rapprocher de vérités qui nous concernent collectivement. Est-ce que c’est suffisant pour sauver le monde ? Probablement pas, mais reconnaitre cette part d’universel en nous que révèlent les succès planétaires est certainement un des moyens de se rappeler que ce qui nous rassemble est plus important que ce qui nous divise. Cela s’appelle l’humanité. 

Alain Péron 

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« Taylor Swift, le monde, ma fille et moi », podcast en 6 épisodes de Xavier Yvon réalisée par Anna Buy (Fr., 2024, 6 x 25 min). A retrouver sur Franceinter.fr et sur toutes les plateformes d’écoute habituelles. 

Photos : 
Header : Stephen Mease / Unsplash 
Podcast : ©Radio France