Actu

« The Rest is Politics » : leçon de dialogue pour société polarisée

Chaque semaine, le podcast « The Rest is Politics » rassemble des millions d’auditeurs britanniques en quête de débats aussi vifs que respectueux et constructifs, loin de la polarisation qui mine la société. Décryptage d’un phénomène made in UK.

Les Britanniques ont innové avec des sports incongrus comme le cricket ou des créations gastronomiques exotiques comme la jelly. Mais ils ont aussi été pionniers dans le développement de la culture démocratique et de l’art du débat, The Oxford Union étant, par exemple, la plus ancienne société de débat au monde.
Plus récemment, le succès phénoménal du podcast « The Rest is Politics » (« TRIP ») en est une nouvelle démonstration remarquable, et ce d’autant qu’il a été initié dans un pays fracturé par le Brexit, où le dialogue était devenu quasiment impossible entre différentes franges de la société. Créé en 2022 à l’initiative d’Alastair Campbell, directeur de la communication de Tony Blair, et de Rory Stewart, ancien ministre de Teresa May, ce podcast de débat politique entre deux personnalités de partis opposés réunit chaque semaine 2,5 millions d’auditeurs et cumule 145 millions de téléchargements. Son ambition : « retrouver l’art perdu d’être agréablement en désaccord » (« bringing back the lost art of disagreeing agreeably » ).

Du podcast à succès au show XXL

Le podcast a pris une nouvelle ampleur comme média d’expression politique, comme l’a illustré la dernière élection américaine, supplantant des enceintes plus traditionnelles : 47% des Américains en ont écouté un dans le dernier mois de la campagne, l’interview de Donald Trump par le « guerrier anti-woke » Joe Rogan, ayant quant à elle été suivie par 45 millions de personnes sur YouTube et 25 millions sur Spotify. Mais là où ce type de podcast – sur lequel a aussi misé Kamala Harris – est souvent une discussion entre deux personnes du même camp, sans la moindre contradiction, renforçant des narratifs divergents pour conforter une base de fans déjà acquis, « The Rest is Politics » offre un tout un autre modèle.

Fait notable, « TRIP » se double d’une tournée aux airs de véritable « show » , les 5 000 places de la première édition à Londres s’étant vendue en six minutes, celle du 15 octobre dernier à l’Arena O2 a réuni 15 000 personnes, venues écouter leurs champions débattre de politique fiscale ou de Gaza ! Ceux-ci ont pour interdiction toute chamaillerie superflue ou recherche de clash, chacun pouvant appuyer sur un bouton d’urgence en cas dérapage, la salle étant alors plongée dans une lumière rouge au son de sirènes et où le mot « tribal » apparaît sur les écrans.

« The Rest is Politics » offre un double enseignement pour les entreprises désireuses d’entrer dans le débat public.

Derrière ce succès, une soif de nuance

La réussite de « TRIP » démontre que, malgré la polarisation ambiante et des formats journalistiques surfant sur cette vague, il existe un appétit et une place pour une approche plus sereine mais sachant faire place à une certaine scénarisation pour procurer un moment de plaisir autant que de réflexion. Son succès est aussi le signe d’une envie d’une partie de la population – sans doute moins bruyante mais tout aussi réelle si on en juge par les chiffres – qui ne se retrouve pas dans la confrontation de points de vue radicaux et souhaite disposer d’un espace à elle, où elle soit considérée et écoutée. Un espace qui soit une invitation, comme nous la prônons chez No Com, à penser contre soi-même.

« The Rest is Politics » offre un double enseignement pour les entreprises désireuses d’entrer dans le débat public ou de répondre à des controverses dont elles feraient l’objet :

– selon la célèbre formule attribuée à Victor Hugo « la forme, c’est le fond qui remonte à la surface » : réfléchir au mode d’expression est clé, surtout dans un contexte de chute de l’attention. Mettre du « show » ne doit pas être considéré comme un artifice ;
– il existe un intérêt pour le débat, vivant, incarné et expert : voilà une opportunité pour les dirigeants de faire valoir leur position, sur des thématiques variées y compris sensibles, auprès d’un large public. Et cela est d’autant plus important que, comme l’a souligné le Baromètre de la transformation des entreprises No Com de décembre 2023, leurs propres collaborateurs les encouragent à le faire, en adoptant une communication plus offensive.

Charles de Beistegui 

Crédit photos : The Rest is Politics