Culture

Pourquoi les BD deviennent des leviers de confiance

Format pop, intelligent et furieusement vivant, la bande dessinée fait bien plus que divertir. Elle se frotte désormais à la philo, aux sciences, aux sujets de société et séduit de plus en plus d’adultes. Et si les entreprises s’en inspiraient pour mieux raconter, convaincre, embarquer ?

« J’ai toujours lu des BD. J’ai arrêté à l’adolescence, et ai repris adulte avec des bande-dessinées scientifiques. Je suis retourné vers la BD parce que j’avais envie d’apprendre des choses en me faisant plaisir, pour compléter mes études. Je trouvais dans les albums des sujets qui m’intéressaient sans être noyée dans le trop technique. »

Qui, comme Charlotte, n’a jamais ouvert une bande-dessinée ? Les Français raffolent de ces albums, dont près de 68 millions d’exemplaires ont été vendus l’an dernier (1). Si les enfants restent les plus gros consommateurs de BD – 77% en lisent contre 43% chez les adultes (2°) –, albums et mangas confondus, les adultes sont eux aussi de grands amateurs de bulles. Qu’il s’agisse d’un achat dicté par la nostalgie, la curiosité ou la simple nécessité d’offrir un cadeau, toutes les raisons sont bonnes pour savourer ce format léger, prompt à divertir. Ouvrir une bande dessinée en 2025 c’est réactiver une madeleine de Proust : Tintin, Blake et Mortimer, Gaston Lagaffe, Spirou et Fantasio, autant de noms qui rappellent des après-midi au coin du feu ou des vacances d’été sous la tente. Se transmettant de génération en génération, toujours achetées dans les librairies, brocantes ou sur internet, les BD résistent, encore et toujours, à l’envahisseur numérique, dirait Astérix.

La BD : un renouvellement ancré dans l’ère contemporaine

Ce succès durable, comment l’expliquer ? La diversification du secteur y est pour beaucoup. Bien que la saga préférée des Français, Astérix, continue d’occuper une place de choix dans les rayons (un numéro est sorti en 2023, trustant la première place des ventes cette année-là), la BD a su sortir du seul cadre du divertissement pour explorer de nouveaux horizons. Philosophie, sciences, histoire, politique… Les sujets abordés dépassent le cadre de la fiction pour embrasser l’actualité et les questions contemporaines. Publié fin 2021, Le Monde sans fin de Jean-Marc Jancovici et Christophe Blain a été le livre le plus acheté en France en 2022, avec 514 000 exemplaires (3). Quoi de mieux que d’allier plaisir et apprentissage pour toucher un large public ?

Dans le sillage de Jean-Marc Jancovici, d’autres auteurs allient sciences et BD avec brio : Philippe Squarzoni avec Saison brune, également sur la transition écologique et la surconsommation, Thibault Damour et Mathieu Burniat avec leur album sur la physique Le Mystère du monde quantique ou encore Philippe Amador et son Spinoza : Éthique ; De la vérité au bonheur visant à vulgariser la philosophie. Ces sujets, autrefois cantonnés aux sphères intellectuelles, sortent aujourd’hui de leur carcan pour atteindre le grand public. La BD est le véhicule idéal pour appréhender des domaines qui peuvent intimider, et les scientifiques l’ont bien compris : de plus en plus d’équipes et d’instituts de recherche adoptent ce format comme un outil de médiation scientifique, voire « un moyen d’explorer autrement la recherche » (4). 

La BD aide autant le lecteur que l’auteur à découvrir, confronter ses certitudes, et à envisager d’autres possibles.

Une nouvelle forme de récit

Comme le rappelle l’anthropologue Boris Pétric, « la BD fournit des moyens efficaces pour lutter contre d’autres formes de récits, comme les fake news, qui contredisent les études scientifiques » (5). Ces mots résonnent avec les réflexions de No Com sur la communication dans une société paranoïaque, marquée par une triple crise de l’attention, de la confiance et du pessimisme. Face à cette défiance généralisée, la bande dessinée propose une voie inattendue. Les codes singuliers de la BD, sa capacité à nouer le fond et la forme, en font une solution précieuse pour désamorcer les résistances de l’opinion. La BD permet de toucher tous les publics et d’apporter un éclairage sur des sujets essentiels, notamment en matière scientifique.

La BD réinvente la manière de transmettre. En renouant avec le plaisir du récit, en réintroduisant l’émotion, elle retisse un lien précieux avec les lecteurs. Elle touche des publics plus larges, portée par la puissance du visuel et un capital sympathie souvent sous-estimé. L’image n’appauvrit pas le message : elle l’approfondit. 

« Les images mettent en vie l’histoire et permettent de comprendre les coulisses de l’objet étudié mieux que ne le font certains romans, analyse Lucie Paturel, Directrice Conseil Responsable du Pôle Médias & Influence chez No Com. Le dessin a une importance centrale et chaque auteur a une patte unique, qui occupe une place prépondérante dans la narration, autant que le texte. C’est un formidable outil pour le récit, en alliant histoire et visuel, en plus d’être un bel objet que l’on tient à garder chez soi. Ce n’est pas pour rien que les adultes lisent de plus en plus de BD. »

Dans une époque où les messages peinent à trouver leurs cibles, les récits distillés dans ces albums prouvent que les savoirs peuvent passionner, y compris dans une société traversée par le doute et en perte de confiance envers toute forme d’autorité, scientifiques en tête. Une source d’inspiration pour les entreprises, confrontées aujourd’hui aux mêmes enjeux. C’est là toute la force du récit visuel : rallumer le désir de comprendre, là où les messages « traditionnels » semblent s’essouffler. 

Benjamin Grandazzi

(1) Sud Ouest, Bande dessinée : découvrez le Top 10 des meilleures ventes 2024 en France
(2) Le Centre national du livre, Les Français et la BD, 2020
(3) France Inter, Comment la BD Le monde sans fin est devenue le livre le plus vendu de l’année, 04/01/2023
(4) CNRS le Journal, Maxime Lerolle, BD et science : pourquoi la recherche rêve de bulles, 23/01/2024
(5) Ibid.