Culture

Été 2025 : nos coups de cœur à glisser dans votre valise !

L’été, c’est le moment idéal pour se plonger dans ce qu’on a mis de côté toute l’année. Essais, BD, documentaire : les membres de No Com partagent leurs coups de cœur culturels à découvrir pendant les vacances. Prêts pour un mois d’août sous le signe des récits ?

#1 Le choix de Charles de Beistegui – L’accident, de Jean-Paul Kauffmann (Équateurs, 336 p., 2025)

Je recommande cette enquête autobiographique et nostalgique, 40 ans après l’enlèvement de Jean-Paul Kauffmann à Beyrouth où il a été retenu otage trois ans. L’écrivain et journaliste revient sur l’accident tragique et tu par la suite, qui bouleversa son enfance au cours duquel 18 jeunes footballeurs de son village de Corps-Nuds, près de Rennes, trouvèrent la mort. Il évoque son rapport à l’enfance et ce qui l’illumina – une enfance heureuse et protégée en Bretagne rurale, son rapport à la famille, l’extrême importance des sens (qu’il développa notamment dans sa très grande connaissance du vin. Il parle de sa captivité et ce que les rêves et les livres (otage, il a lu 30 fois Guerre et Paix, son seul livre autorisé, avec la Bible !), le souvenir de l’enfance, lui ont apporté à ce moment-là : « je réparais pendant la nuit, ce qui se défaisait pendant le jour. »

#2 Le choix de Lucie Paturel – Blazenn, un road trip gourmand à travers la Bretagne, de Loïc Senan (La Nouvelle Bleue, 192 p., 2024)

Blazen. Comprenez saveur en breton. Une alliance de plusieurs de mes passions : la BD, la gastronomie et le voyage, et en toile de fond la Bretagne que j’ai aussi appris à aimer. Ce n’est pas juste une BD gourmande, c’est une plongée humaine et sensible dans le monde de la cuisine, à travers un road trip aussi inspirant que touchant. Ce que j’ai beaucoup aimé, c’est la richesse des voix qu’elle met en avant : des chefs, bien sûr, mais aussi des producteurs, journalistes gastronomiques, le patron du Guide Michelin (un client en plus !), les compagnes et compagnons de chefs – trop rarement entendus, et pourtant c’est important – et tous les métiers de l’ombre qui composent cet univers. Une approche exigeante et généreuse, qui donne à voir la gastronomie autrement, loin des clichés et au plus près des gens. Et en plus de très bonnes recettes avec de succulents produits du terroir breton (à ne pas lire le ventre vide).

#3 Le choix de Clara Mony – Au-dedans, de Will McPhail (404 Éditions, 272 p., 2024)

« C’est une lecture qui a changé ma vie. » Ce libraire indépendant lillois, visiblement ému, n’y est pas allé par quatre chemins. Ma carte bleue non plus. Au-dedans, c’est le récit initiatique de Nick, jeune illustrateur conscient que quelque chose manque à sa vie : les autres et leurs mondes intimes. Nick n’a jamais été très à l’aise parmi les autres « petits centimes » dans le « grand saladier » de la vie. Un jour, il a eu besoin de briser cette gêne. D’en finir avec les small talk. De dire « Ça ne va pas » quand ça ne va pas. De demander « Pourquoi ça ne va pas ? ». Cette lecture rappelle que l’intimité et l’altérité se cachent dans chaque interaction, chaque relation, attendant simplement d’être saisies. On rit, on s’émerveille, on pleure. Ce roman graphique signé du dessinateur phare du New Yorker pèse son poids (formellement déconseillé pour une valise cabine 55x40x20 cm) mais reste une lecture courte, légère et exaltante. Merci à ce libraire qui a incarné par sa sincérité, ce que Au-dedans cherche précisément à transmettre. Une lecture qui invite à la rencontre des autres autant qu’à celle de soi-même.

#4 Le choix de Paul-Marie Chaumont – The Intern – Adrien Brody inside the world of Porsche​ (2025)

Ce n’est pas une publicité. C’est un voyage. Porsche a mis en ligne sur YouTube une vidéo qui ne ressemble à aucune autre publicité automobile. C’est le pari d’un format long et immersif, un clin d’œil audacieux à la lenteur venant d’une marque de voiture de sport. La caméra suit le comédien oscarisé Adrien Brody, invité à découvrir en tant que simple « stagiaire » (!) ce lieu mythique où des générations d’hommes et de femmes façonnent à la main ce qui deviendra une Porsche.
On entend le souffle des machines, on suit les gestes sûrs des ouvriers qui assurent les finitions, là où le robot s’arrête. On croise cet homme qui compte fièrement ses 48 années dans l’entreprise, cette jeune femme venue faire son stage dans l’atelier où son père a commencé, ce couple qui vit Porsche comme une seconde famille. L’usine devient un lieu de transmission, où innovation et tradition s’embrassent dans un même geste. Nous devenons les témoins du « mariage » : quand la carrosserie descend lentement sur le châssis, accompagnée d’une musique nuptiale, comme une promesse tenue à ceux qui ont mis leur âme dans ce projet. Dans la « zone sacrée », les robots de plume chassent la dernière poussière avant la naissance d’un véhicule, comme un dernier signe de bénédiction.
Cette vidéo n’assemble pas seulement des pièces, elle assemble des vies, des rêves et un héritage. Un petit film à savourer entre deux correspondances.

#5 Le choix de Pierre de Feydeau – Le monde confisqué – Essai sur le capitalisme de la finitude (XVIᵉ – XXIᵉ siècle), de Arnaud Orain (Flammarion, 368 p., 368 p.)

Pas de vacances pour la géopolitique ! Pourquoi Donald Trump veut-il annexer le Groenland ? Pourquoi la Chine mène-t-elle une politique d’appropriation des terres arables ou rares, notamment en Afrique ? Et quid des visées de la Russie sur le Spitzberg ? Pour l’économiste Arnaud Orain, l’explication tient en un concept : « le capitalisme de la finitude ». Les dirigeants des grandes puissances auraient constaté que le monde est fini et ses ressources limitées. D’où cette course effrénée à l’accaparement des terres, des mers ou des métaux. Pas de conscience écologique ici, mais un désir cynique de sécuriser la plus grosse part du gâteau, en s’affranchissant des règles du droit international et des principes du libéralisme économique. Pour l’auteur, la dystopie d’un monde fini revient régulièrement sur scène depuis au moins trois siècles. Le XXIe siècle serait ainsi la troisième grande période de ce capitalisme, après la course aux colonies et l’ère des grandes compagnies françaises, anglaises et hollandaises. Amazon, Compagnie des Indes, même combat ! Cette thèse stimulante, un brin malthusienne, renouvelle le récit classique d’un capitalisme libéral rattrapé par ses limites : à quoi bon la croissance si, dans un monde contraint, ses fruits ne peuvent être partagés avec tous ?

#6 Le choix de François-Xavier Maigre – Les piliers de la mer, de Sylvain Tesson (Albin Michel, 224 p., 2025)

Un livre plutôt qu’une deuxième paire d’espadrilles. Tant que la valise ferme ! Enfant, c’était Picsou ou Tintin. Désormais, je glisse toujours le dernier Tesson dans mon paquetage. J’aime que le voyage d’un autre vienne agrandir le mien. Là, j’avoue que j’ai triché. Je n’ai pas attendu d’être en vacances pour commencer l’ouvrage. Comment résister à l’appel des stacks ? Ce terme anglais désigne les piliers de la mer, ces blocs de roche détachés de la côte. On en trouve des milliers dans le monde, plantés au milieu de la houle, comme un défi à l’érosion, au temps qui passe. Avec sa verve coutumière, l’essayiste nous entraîne à l’assaut de ces bastions de pierre dont il escalade les parois et sonde le mystère. Son sens du trait, mêlant précision géographique et sel poétique, frappe par sa justesse. Bourlingueur impénitent, Sylvain Tesson a le don de faire parler les paysages et briller la langue. Ce livre ne déroge pas à la règle. Des forêts de Sibérie aux vallées tibétaines, des chemins noirs de France aux rives des pays celtes, son œuvre singulière dessine un contre-récit aux angoisses de l’époque, une ode à l’émerveillement qui donne envie de prendre soin du monde. Et de perpétuer l’esprit d’enfance.

#7 Le choix de Margaux Foster – Les femmes riches ne courent pas les rues, un documentaire de Véronique Préault (ARTE, 2025)

Avec Les femmes riches ne courent pas les rues, Véronique Préault propose un documentaire instructif et éclairant sur un sujet central de l’émancipation : l’argent. Derrière les discours que l’on connaît sur la parité, une réalité persistante : la richesse demeure majoritairement une affaire d’hommes. De l’argent de poche des petites filles aux inégalités de patrimoine à la retraite, en passant par la « motherhood penalty » ou la faible représentation des femmes dans les secteurs les plus rémunérateurs, comme l’intelligence artificielle, l’indépendance financière reste un défi pour nombre d’entre elles.
Ce documentaire en deux volets m’a marquée par la clarté avec laquelle il met en lumière les dynamiques qui freinent l’accès des femmes à la richesse. Sans manichéisme, avec une pointe d’ironie et le sens du détail, le documentaire examine les ressorts économiques, éducatifs, et sociaux de cette inégalité. Une œuvre percutante.

#8 Le choix de Colombe Bouthéon – Le jardin anglais, de Charles Wright (Albin Michel, 228 p.)

« Les pères ne sont pas éternels. Un jour, le mien rendrait l’âme. Cette pensée m’inquiétait : qu’allais-je bien pouvoir raconter de cet homme le jour de ses funérailles ». Après le succès du Chemin des Estives, Charles Wright revisite le thème classique du retour aux origines. Il nous entraîne dans un road-trip initiatique à travers l’Angleterre, en compagnie de son père et de sa tante Harriet. À 40 ans, il ouvre la boîte de Pandore de son enfance, sillonnant pendant trois semaines les routes à la découverte des pubs et hostels au charme désuet. Le jardin anglais nous offre une tableau intime de l’Angleterre d’hier et d’aujourd’hui. Page après page, l’auteur renoue avec ses racines, et en filigrane, avec la figure paternelle. Ce roman délicat parle aux cœurs des pères et des fils. Une invitation à traverser la Manche en quête d’une cup of tea !

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