Culture

Essai : le film publicitaire, un chef-d’œuvre en péril ?

Dans un ouvrage empreint de sensibilité et d’érudition, l’écrivain Luc Chomarat revisite l’épopée du film publicitaire. Une invitation à replonger dans ce patrimoine foisonnant, où de simples courts-métrages commerciaux de quelques secondes suffisaient à créer des mondes fascinants, qui semblaient exister pour eux-mêmes. 

L’Ami Ricoré, sa famille heureuse et sa ritournelle entêtante, Ovomaltine et son humour absurde, Mikado et son braquage manqué à cause d’une faiblesse gourmande… Qui d’entre nous n’a pas en tête au moins l’une de ces pubs iconiques ? Si elles ne nous ont pas nécessairement fait boire de la chicorée ou dévorer des kilos de chocolat, ces séquences sont restées dans nos mémoires.

Pour Luc Chomarat, auteur d’un essai aussi bref qu’érudit sur l’art de la pub, cela n’a rien d’étonnant. Ces spots sont emblématiques de l’âge d’or du film publicitaire, qui commence au début des années 1970 pour s’achever dans les années 1990. Ce petit livre réhabilite un genre longtemps perçu – à tort – comme un pur outil mercantile : “Le film publicitaire est au long-métrage ce que le haïku est au roman, défend Luc Chomarat. Dans sa forme la plus pure, il ne cherche pas à vendre autre chose que lui-même, mais simplement à créer une forme d’émulation.” 

Une analyse pointue et passionnante 

L’ouvrage a le mérite d’offrir à cette épopée publicitaire la grille de lecture sérieuse qu’elle mérite. L’auteur montre notamment comment de brillants réalisateurs comme Étienne Chatiliez ou Jean-Paul Goude ont donné au genre ses lettres de noblesse, mais aussi comment la pub a su s’emparer des codes cinématographiques en déclinant avec brio les grands genres en vogue (film de casse, comédie musicale…) pour créer une connivence culturelle avec les téléspectateurs. Il suffit de revoir certains de ces morceaux de bravoure télévisuelle pour convoquer l’esprit d’une époque. Un conseil : gardez votre smartphone à portée de main pour aller jeter un œil aux pubs décortiquées par l’auteur, pour la plupart disponibles en ligne sur le site Culturepub.fr. 

Aujourd’hui, cet âge d’or semble s’être éloigné. Déjà parce qu’internet a changé la donne : ciblage des publics grâce aux algorithmes, recherche d’une audience mondiale par les annonceurs au risque d’un nivellement culturel, peur de choquer et prudence des services juridiques des entreprises… La pub existe toujours, mais le cœur y est peut-être moins. Affleure dans ces pages une nostalgie poignante : celle d’une époque où la télévision fédérait les générations autour du poste, où l’audace et l’impertinence passaient crème aux heures de grande écoute. Désormais, c’est chacun sur son écran. “Et sur Internet, le film publicitaire n’est plus qu’un micro-spectacle parmi d’autres. Le spectateur / acteur n’a plus à passer par la case pub pour connaître le plaisir évanescent d’une toute petite histoire filmée.” 

Chacun est devenu une marque 

L’essor des réseaux sociaux accélère ces transformations : chacun a le pouvoir de créer et de publier des contenus. Nous sommes nous-mêmes une marque ; les stories ont détrôné les pubs. Si ces dernières sont devenues plus lisses et prévisibles, de belles exceptions demeurent, nuance Luc Chomarat qui n’exclut pas un regain de créativité publicitaire. Personne ne sait de quoi l’avenir est fait ! Les formats évoluent, notre soif de récits demeure. Et les marques ont besoin de promouvoir leurs produits et services. “Dans l’attente d’un autre changement de paradigme, il nous reste à regarder les chefs-d’oeuvre de l’âge d’or comme nous regardons ceux du cinéma muet, des objets que l’on ne nous proposera pas parce que le contexte ne s’y prête plus, mais qui peuvent encore, étrangement, nous faire rêver”, écrit l’auteur.

Et de citer Charles Trenet dont la chanson “J’aime la pub”, sortie en 1992, résonne comme l’antienne d’un monde révolu : “Quand on me demande / C’que j’aime à la télé / Sans faire de propagande, / Je réponds : En toute vérité… / J’aime la pub / La publicité / J’aime ces tubes qui viennent m’exciter.” Ressusciter cette joie, célébrer cette insouciance, c’est tout le mérite de ce livre.   

F.-X.M. 

Le film publicitaire, chef-d’oeuvre, de Luc Chomarat, Playlist Society, 144 p., 17 euros 

Photo de Ajeet Mestry sur Unsplash